Samuel Brussell – Ein Blog-Eintrag

Le blog littéraire de Samuel Brussell

Samuel Brussell, Schriftsteller über mein Gedicht „Sexxalfawett“

Posted on 13 juillet 2010

L’Italie est l’autre pays d’Europe, avec la Suisse, et peut-être l’ex-Yougoslavie, qui soit le plus à l’image de l’Europe, mosaïque de langues, de dialectes et de peuples, réunion de pays. Oui, de pays. Un grand pays est un pays fait de petits pays. L’Argovie et la Vénétie, l’Appenzell et le Trentin-Haut-Adige (Sud Tyrol), les Pouilles et les Grisons sont des pays, comme la Judée et la Samarie. J’en veux pour seule preuve qu’ils nous dépaysent. Peut-être est-ce le plus beau cadeau que puisse nous faire un pays : nous dépayser, c’est-à-dire nous faire sentir étrangers, à l’étranger — ailleurs — en son propre pays. L’Europe est une multiplication de ces ailleurs. Quoi de plus différent que la Corse et l’Alsace, pays séparés par une langue nationale? Peut-être nous faut-il entendre une prémonition dans les mots du poète flamand de Dunkerque — Duinkerk — Michiel de Swaen : « Nous n’avons pas été réunis à la France, nous avons été arrachés aux Pays-Bas. »

Lors d’un séjour à Strasbourg, je surpris, à l’auberge Chez Yvonne — « S’Burjersteuewel », le patron en train de parler alsacien avec des amis restaurateurs et je me suis senti soudain inondé de poésie.

A Trente, je fus déçu par l’italien somme toute classique que j’entendis parler dans les rues. Ma logeuse, à qui je confiai mon chagrin, me sermonna : « Ah, mais caro signore, c’est que par ici, le dialecte qu’on parle est plutôt massicio. — Eh bien, moi, j’ai envie de l’entendre, ce dialecte de brutes, insistai-je. Elle me regarda d’un œil amusé, comme si elle se piquait au jeu. Puis, d’une voix lente, avec un beau sourire, elle me dit, en tournant chaque mot dans sa bouche : « Je ne sais pas moi… si vous voulez vraiment… il vous faut aller au Val di Fassia… là, vous serez servi! »

J’ai remis l’excursion au Val di Fassia à plus tard et mes pensées se sont dirigées vers le Nord, sur Bolzano/Bozen où je m’étais arrêté quelques années plus tôt, en venant d’Innsbruck. Innsbruck était au croisement des lignes de chemin de fer Est-Ouest et Nord-Sud. Cette fois, j’entrais à Bolzano depuis le Sud. A la sortie de la gare, en entendant deux chauffeurs de bus parler entre eux l’italien, j’eus l’impression que j’avais pu ressentir parfois à Bruxelles ou à Bastia en entendant parler le français : « les conquérants ne sont pas malvenus », me rassurai-je. Mais ici l’allemand, dans sa variante tyrolienne de surcroît, était en moins mauvaise posture que le néerlandais de Flandre ou l’italien de Corse. J’étais heureux de pouvoir parler l’italien autant que je me réjouissais d’entendre l’allemand.

Sur les pelouses du parc, à l’entrée de la ville, des dormeurs s’étalaient en tous endroits, à l’ombre des arbres, la tête protégée par un linge, comme devant la gare de Trente. La plupart semblaient venir des confins de l’Europe, et attendaient leur tour pour entrer dans cet Eldorado. Je me dirigeai droit vers la place Walter et son Stadt Hôtel Città, un bel édifice Art-Nouveau exhalant de fortes réminiscences de l’Empire, avec sa cinquantaine de journaux quotidiens, régionaux et nationaux, en anglais, français, italien, allemand, espagnol. Ce multilinguisme fait rêver, on comprend mieux les mots du Kaiser : « An meine Völker! » — A mes peuples.

Assis à cette terrasse, on voyage de Vienne à Trieste. On a envie d’interpeller une ombre qui traverse la place : « Kerle! »

Les serveuses ont à cœur de parler l’italien et je ne les contrarie en rien. Je m’attarde à l’intérieur de l’établissement, au frais, à prendre des nouvelles de l’Europe depuis ce promontoire. Puis je m’éclipse un moment et tente de retrouver, à travers les ruelles de la vieille ville, la librairie visitée il y a des années — soudain la voilà, encaissée derrière les piliers des arcades. Dans les pays bénis par la vie locale, c’est le rayon du pays que je cherche avant tout. Et voici le livre d’un poète tyrolien qui me hèle depuis l’entrée. Wolfgang Sebastian Baur vit à Berlin et publie ses poèmes en bilingue, haut-allemand-tyrolien. Je m’arrête sur un poème particulièrement expressif : Sexx Alfawett, que je lis à voix basse en retournant les consonnes et les voyelles dans ma bouche — ne dit-on pas Mundart en allemand pour dialecte? (Mundart : manière buccale, si j’ose ainsi traduire).

Zin an guitn sexx

Praucht s kaana werto

Schnoggile

Schozzile

Zin paichpil

Mmmmmhhh

Odo

Aaaaaaa

Odo

Uuuuuuuuu

Odo filaicht

W o a u w

Odo aanfoch

Iiiiiooooo

Zin an guitn sexx

Praucht s kaana werto

Drai konsonantn

Unt a poor wokaale

(In olla forrbm liewe, editions Goiapui, poésies en puster.)

Il faudrait miauler, couiner, râler, parler du larynx et du nez, se contorsionner les membres pour rendre la suggestivité de ces sons… Quand à traduire l’idée : « L’amour charnel se passe de mots : Mmmmmhhh… Aaaaaaa… Uuuuuuuuu… W o a u w… Iiiiiooooo… quelques consonnes et quelques voyelles suffisent. »

La vendeuse m’observe dans mes mimiques de clown attrapeur de mots, elle s’approche d’un air timide et me demande si elle peut m’aider. Je lui souris et lui montre le poème sur la page : « Vous comprenez mieux que moi, n’est-ce pas? Est-ce que je prononce bien? Elle rougit et me demande d’une voix hésitante d’où je viens. — De Trente, lui dis-je pour faire court. — Ach! Trento! » me répond-elle, rêveuse, comme si j’avais dit « Lhassa » ou « Kuala Lumpur ».

Quelques heures plus tard, j’attrapai un train international pour rentrer à Trente et je sentis, à bord de cet inter-city en provenance de Munich, une fusion de langues et de paysages qui s’engouffraient de toutes parts, comme si le train était un territoire souverain, hors du temps. Je respirai des bouffées du vieil empire, j’exultai.





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